Les spectres du drapeau rouge

 

Au Japon, en Italie en Allemagne ce fut a peu près la même histoire Dans les pays qui ont connu le fascisme, une partie de la jeunesse s’est rassemblée autour du drapeau rouge. Après 1968 certains comme des comètes laissent dans leur sillage une traînée sanglante. Documentaire français, Une jeunesse allemande retrace l’histoire de la Fraction armée rouge (RAF), organisation d’extrême-gauche allemande plus connue sous le nom de Groupe Baader-Meinhof ou de Bande à Baader. Le monde apprend l’existence de la RAF en 1970. Condamné pour avoir incendié deux grands magasins lors d une manifestation contre la guerre du Vietnam, Andreas Baader s’évade suite à l’intervention d’un commando armé. L’action est revendiquée par la Fraction armée rouge. Les années qui suivent seront marquées par une série d attentats au quartier général américain de Francfort, dans les locaux de la direction de la police d’Augsbourg et de Munich, dans les bureaux du groupe de presse Axel Springer. L’arrestation de Baader et des principaux membres du groupe durant l’été 1972 ne met pas fin a la spirale meurtrière. En 1977 la RAF revendique encore les assassinats du procureur fédéral Siegfried Buback et du président de la Dresdner Bank Jurgen Ponto. Cette même année Andreas Baader est retrouvé dans sa cellule tué d’une balle dans la nuque. Ses complices meurent en prison dans les mois qui suivent.

 

Point de basculement

Une jeunesse allemande ne comporte pas d’interview ni de commentaire. Jean-Gabriel Périot procède à un impressionnant « recoupage » d’archives qui donne à son film l’allure d une vaste tapisserie. Des images fantomatiques écornées par les années. Elles peuvent fatiguer le regard et nécessitent une certaine attention. Ce montage chronologique nous invite cependant à saisir le point de basculement irréversible dans la violence. A ce titre, le film s attarde moins sur Baader que sur Ulrike Meinhof. La jeune militante apparaît d’abord dans de nombreux débats télévises, présentée comme une journaliste ou une intellectuelle. Elle ne sombrera dans le crime que dans un second temps. Et achèvera sa « jeunesse allemande » en 1976, pendue dans sa cellule à l’âge de 42 ans.

Si le terrorisme d’extrême gauche a vécu, ses spectres nous parlent encore. Ils nous racontent un monde où le dialogue devient impossible tant chacun se sent à la fois sourd et inaudible. Ils nous décrivent l'instant ou s’ouvre l’impasse. Ce moment où ceux qui voulaient prendre la plume choisissent de prendre les armes.

 

A. G.
Les Échos
9 octobre 2015